La force du toucher, écrit par David Servan-Schreiber

Publié le par IGK

Au cours d'une expérience américaine menée à l'Université de Virginie, la psychologue Mary Ainsworth avait demandé à des adultes de regarder des nouveau-nés de quelques semaines sans montrer aucune émotion. D'abord curieux, les bébés avaient très vite émis des signes d'inquiétude puis, après 90 secondes, de franche détresse si l'adulte persistait dans son refus d'agir ...

 

On sait aujourd'hui que le cerveau des mammifères - celui des humains en particulier - a besoin de cet échange de signes, de ce va-et-vient affectif pour se développer et se réguler. Le psychothérapeute Daniel J. Siegel, de l'Université de Californie à Los Angeles, nomme l'étude de ces échanges LA NEUROBIOLOGIE INTERPERSONNELLE.

 

Prenons un enfant ignoré ou incompris ou qui reçoit des signaux déformés ou pervers : il ressentira une détresse immédiate. Si ce mode de communication persiste, il développera un manque d'estime de soi, voire un sentiment de honte.

 

Les psychothérapies l'ont compris : la réparation du moi passe par la relation au thérapeute. Celle-ci agit sur les neurones comme un nouveau régulateur du cerveau (on parle d'expérience émotionnelle corrective).

 

Longtemps, la psychanalyse a imposé comme règle à ses praticiens de rester le plus neutre possible dans leurs réactions aux patients. Eh bien, comme le bébé face à un visage inexpressif, la plainte la plus fréquente des patients envers leur psychanalyste a toujours été : "il ne me parle presque pas !".

 

Aux Etats-Unis, j'ai suivi pendant 8 ans une psychanalyse avec une femme devenue plus tard Présidente de l'Association américaine de psychanalyse. Durant les 4 premières années, nous avons suivi le protocole imposant la distance. Un jour, au cours d'une séace, je me suis rappelé une banale tristesse d'enfant, un moment où l'on n'avait pas su me réconforter. A cet instant, j'ai eu besoin que mon analyste corrige le passé, qu'elle me tienne la main. Assise derrière moi, elle n'a rien dit. Bien sûr, je connaissais la règle analytique qui interdit le contact physique.

 

POURTANT, MALGRE LA PEUR D'ETRE REJETE UNE SECONDE FOIS, J'AI TENDU MA MAIN VERS ELLE AU-DESSUS DE MA TETE ET JE LUI AI DEMANDE LA SIENNE.

 

Le silence a duré encore de longues secondes, puis j'ai senti sa main prendre la mienne. A ce moment précis, toute ma douleur d'enfant est ressortie d'un coup, sans mots, sans images, simplement par des sanglots profonds qui m'ont paru interminables. Jamais, je n'avais pleuré comme ça. Ces larmes m'ont fait beaucoup de bien.

 

15 ans plus tard, j'ai reçu un courriel de cette analyste que je n'avais pas revue depuis des années. Elle avait lu un de mes articles et me demandait des nouvelles de ma vie. Et puis, elle ajoutait que la thérapie est souvent un processus que l'on ne maîtrise pas tout à fait et que son souvenir le plus fort de nos séances était celui où nous nous étions tenu la main. Elle avait le sentiment que cela était sans doute le mien. Elle avait raison, bien sûr.

 

La relation humaine avait compté bien plus que toutes les théories. Et, dans cet échange de coeur, comme pour un bébé, quelque chose avait grandi pour moi.

 

Chronique parue dans Psychologies n° 307 de mai 2011

 

J'ai envie de rajouter la citation suivante de Olivier Costa de Beauregard :

"Si nous changeons, l'univers que nous étudions va aussi changer. L'observateur se croit neutre, en fait il est participant".


 

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